|
Réjouissez-vous, Iaume est de retour ! Avec délectation, Yves Taillefer apporte un troisième volet aux aventures de Guillaume le Bailli - dit Iaume - éclaireur à la glorieuse IIIe Ardres d'Allèves (département de l'Ardentin), la « troupe la plus indocile des deux hémisphères ». Après le succès des deux premiers tomes, Yves Taillefer a franchi le pas avec bonheur : voici Le Frère du Lynx.
Tandis que les deux premiers romans se déroulent à un camp d'été d'intervalle, le troisième opus s'ouvre à l'instant même où se termine Iaume le preux. « Le tome 2 laissait ouverte une question, un problème à résoudre, s'est rendu compte Yves Taillefer. Il a suffit d'une idée de Germain, l'assistant-qui-a-toujours-raison pour que le récit démarre. » Le point de départ ? Une histoire « plus ancienne que ce camp ». Et Philippe, C. P. de l'Aigle, le frère de Guil. L'éternel adversaire de Iaume. Et Iaume, bien sûr, « tout ce que Philippe n'aime pas ».
« Ni la victoire, ni la défaite ne sont la fin du grand jeu. » Message énigmatique retrouvé au début de l'explo. « On dirait un jeu », murmura Iaume. « Il ne finira donc jamais, c'te jeu ? maugréa Tophe. On l'a gagné, non ? Qu'est-ce qu'ils nous remettent un jeu, maintenant ? » « Un jeu qui ne s'arrête jamais… » lance rêveusement Bertrand, le lièvre-kangourou.
Les corsaires de grands jeux, amateurs de barouds inutiles et de vastes batailles seront comblés. Les paysages grandioses deviennent un personnage à eux seuls, théâtre d'embuscades, de courses-poursuites à travers les plateaux. Grâce aux descriptions magnifiques de l'auteur, nous voici repartis dans les vastes espaces des planèzes. Au hasard d'une vallée, nous débarquons avec la patrouille à Saint-Sornin-les-Orgues, La Garde-Loubeyre, Fleurac la Redonde, Sainte-Pétronelle-du-Tourdou… ces villages déserts d'homme où subsistent dans le meilleur des cas une épicerie-quincaillerie-mercerie-tabac-dépôt-de-pain-dépôt-du-journal-bureau-de-poste, prise d'assauts par les éclaireurs venus dévaliser la réserve de bonbons et de saucissons. Oh, bien sûr, quelques cheftaines périmées n'ayant jamais mis les pieds dans une troupe joueront sûrement les vierges effarouchées en voyant les scouts se taper généreusement dessus pour la conquête d'un sceptre en bois ou la capture du roi, avant de partager fraternellement un quatre-quarts dix minutes plus tard, narrant les exploits de chacun avec force détails. Qu'à cela ne tienne. Les scouts actuels et passés (« scout un jour… ») se régaleront du regard amusé et lucide qu'Yves Taillefer pose sur les usages et les traditions scoutes, distillant généreusement ses pointes d'humour pince-sans-rire par des formules qui font mouche, dans des passages d'anthologie.
Comment Yves Taillefer parvient-il à nous tenir hors d'haleine tout au long de son roman ? Cela doit être ce qu'on appelle le talent. Un savant dosage entre action, humour et poésie, le tout dans une langue impeccable.
« Mais un jeu qui ne se finit pas quand on est vainqueur, comment se gagne-t-il ? » s'interroge le long Seb, en calant son sac à dos. Là est peut-être la clef de l'énigme. Car sous ses airs de roman scout, Le Frère du Lynx est bien plus qu'une aventure passionnante : une quête initiatique. Derrière le romancier, c'est bien le pasteur qui parle. Celui qui côtoie à longueur d'année et de camps des jeunes - Yves Taillefer est aumônier scout. Celui qui tente de répondre aux questions adolescentes, à dix mille lieues des livres plats et moralisants. Ici, le scoutisme n'est ni un cadre, ni un prétexte, c'est un moyen de grandir. Une direction à suivre, une boussole à utiliser. Discussion entre Ferry et Germain les deux assistants. - Tu étais un bon scout, toi ? - Comme toi, non ? - Je veux dire, pas juste un scout potable qui passe à la troupe et qu'on oublie, mais vraiment un bon scout ? Qui y croit de tout son cœur ? - Tu sais bien. L'honneur. L'aventure. Le dévouement. La noblesse. L'idéal. Mieux que personne, Yves Taillefer sait pointer les drames de l'adolescence : « ce devait être cela son histoire : monter vers le ciel, désirer tellement quelque chose qui ne se trouvait que plus haut, juste plus haut que sa main tendue, et toujours échouer. […] Et n'être que Guillaume Le Bailli, pauvre Guillaume, scout sans gloire, second fuyard, C. P. rebelle, tellement en dessous de son idéal. » Mieux que quiconque, il sait mettre le doigt sur le génie du scoutisme : « Avant les scouts, j'avais un tout petit monde… », sur l'exigence et la magie de la Promesse : « Nous ne savions rien de ce qui nous attendait, mais nous prenions tout. Le jeu et l'épreuve, la chute du haut des donjons, les nouveaux camps dans d'autres montagnes, l'amertume ravalée aux soirs de défaites, le secret de notre faiblesse et ce désir d'être celui que nous étions appelés à être depuis le début de notre enfance. Ensuite ce fut la longueur des mois, mais la main qui s'était posée sur mon épaule le soir de la promesse ne s'est jamais retirée. » Peut-être est-ce Charles qui a tout compris. Peut-être parce qu'il a le royaume au cœur. « C'est Iaume qui a raison. Les jeux sont fait pour être joués jusqu'au bout. C'est ma dernière année, Sylvain ; l'année prochaine, je ne serai plus là. Alors maintenant, je veux y aller moi aussi. Là où Iaume a toujours voulu aller. Loin. Là où il n'y a ni vainqueur ni vaincu. À l'Aventure. »
Les hirondelles sont comme les scouts ; elles arrivent avec l'été et repartent lorsque les soirs se font plus courts. Cet été, les portes du royaume se sont entrouvertes. Iaume y a pénétré.
Éric Bargibant
Yves Taillefer, Le Frère du Lynx, 256 pages. Collection « Licorne » n°4, éd. de la Licorne. 13€. En vente sur www.editionsdelalicorne.com
|
|